Il est 16 h 30 au centre d’animation : Elio, quinze ans, s’assoit à côté de moi et m’interpelle. « J’hésite à suivre un compte Insta », souffle-t-il. « Le gars dit qu’il y a moyen de se faire pas mal d’argent, facile. » Ma réplique fuse, réflexe d’adulte : « Tu crois vraiment que l’argent tombe du ciel ? » Réaction probablement saine… mais aussi révélatrice de l’écart de perception entre leur attitude “scroll” et notre “scepticisme” d’adulte.
Je décide donc évidemment d’aller plus loin dans la discussion pour qu’il me décrive ce « profil Instagram » et sur ce qu’il propose. Il en vient à me donner l’exemple d’achat de produits revendus plus cher. Sur le principe, pourquoi pas, mais une autre problématique me vient à l’esprit et je lui glisse alors : « As-tu la notion du cadre réglementaire pour la revente de marchandise ? tu ne dois pas devenir toi-même une entreprise et te déclarer pour faire ça ? ». En Suisse, toute activité commerciale régulière doit être déclarée dès 100 000 CHF de chiffre d’affaires ou si les bénéfices sont l’unique revenu. Cela laisse un peu de marge !
Cette bribe de discussion a suscité une réflexion plus profonde et intéressante sur, d’une part, la place du numérique et notamment des différentes influences pour les jeunes, mais également notre rôle et ce que nous « entendons » derrière ces quelques informations et « envies » de nos jeunes. Ici, il souhaite partager son envie de « gagner de l’argent » et cherche un moyen pour réussir. Mon but ne doit donc pas être de le descendre mais de lui faire prendre conscience de ce que cela engendre comme responsabilité.
Depuis la rentrée, certains ados flirtent avec des vidéos où IA, crypto et trading minute promettent la “liberté financière” avant la fin des études obligatoire. L’étude JAMES 2024 confirme l’ampleur de la vague : 71 % des 12-19 ans ont déjà testé ChatGPT ou un outil voisin, preuve qu’un algorithme peut désormais rédiger un pitch plus vite qu’un prof ne corrige un devoir. Cette accélération alimente un nouveau type d’influenceur : le « finfluenceur », un influenceur spécialisé dans le domaine des finances.
Il est primordial que nous maintenions notre statut « d’adulte » parfois pénible et sceptique pour réguler un peu les envies parfois impulsives et démesurées. Mais il est essentiel de s’intéresser et d’approfondir ses envies et besoins auxquels nos jeunes font face car, qui sait, il est peut-être un entrepreneur en devenir. Laissons l’opportunisme et la créativité exister, même si celle-ci démarre sur un « réseau social ». Être adulte au milieu de ces écrans, ce n’est pas brandir le panneau Interdit de rêver ; c’est tendre la perche pour transformer une envie en un projet viable.