
Il y a six mois à peine, nous comptions les doigts des personnages générés par l’intelligence artificielle. C’était notre façon à nous, humains, de nous rassurer, de nous prouver que nous gardions la main.
Et puis, 6 mois plus tard, tout a basculé. Aujourd’hui, Sora 2 d’OpenAI, Veo 3 de Google ou d’autres concurrents créent des vidéos photoréalistes, dans lesquelles il est possible d’intégrer sa propre personne ou ses amis. Ces vidéos, deviennent indiscernables de la réalité. Un prompt et vous créez de toute pièce un univers parfaitement fictif, dans lequel vous vous intégrez. Aujourd’hui, chacun utilise son propre studio de cinéma pour générer son propre monde...en trois lignes de prompt.
Casey Neistat, youtuber légendaire à la créativité folle, a réagi dès le lendemain de la sortie de Sora 2 avec une vidéo d’une sincérité brutale : « We are so fucked ».
Aujourd’hui, tout ce qu’il fallait, du temps, de la sueur et du vécu, pour créer, peut être produit en un prompt. Le lien entre l’effort et la valeur, entre le réel et sa représentation, s’effiloche. Ce n’est pas seulement une révolution technique, c’est la fin d’un paradigme sociétal.
Et ce nouveau monde déborde déjà. Les plateformes sont inondées de contenus générés à la chaîne : des vidéos de toute nature, vides, interchangeables, destinées à capter l’attention. C’est aujourd’hui plus de 50% des vidéos TikTok, plus que la moitié de tout le contenu généré sur les réseaux sociaux d’ici 2026, selon les estimations. Les anglophones appellent ce type de contenu, « AI slop ». Une bouillie numérique sans limites.
L’image n’est déjà plus une preuve du réel : elle est devenue une fiction crédible. Nous sommes entrés dans l’ère post-naïve; celle où voir ne veut plus dire croire.
Mais tout n’est pas foutu ! Casey, fidèle à lui-même, a retourné l’arme contre elle-même. Il a utilisé ces outils pour mettre en scène sa propre inquiétude, et son film n’en est que plus fort. Il montre que la technologie, si on la maîtrise, peut également devenir l’outil qui permet de faire passer son propre message. La différence ne tiendra plus à la qualité de l’image, mais à la clarté de l’intention. Ce n’est pas la fin de la créativité : c’est la fin de l’innocence.
C’est cela que nous allons devoir faire, apprendre à regarder autrement, à douter sans désespérer, à donner du sens dans un monde saturé de possibles.